Interview de Emmanuelle Retaillaud, historienne* sur son livre : La Parisienne-Histoire d’un mythe. Du siècle des Lumières à nos jours
AUJOURD’HUI
— Dans un contexte international, la Parisienne est-elle toujours un modèle, une icône ?
Pour des raisons marketing entretenues par l’univers du luxe et les magazines féminins, la Parisienne reste une icône. Paris est la capitale de la mode et du tourisme. S’ajoutent également des raisons culturelles : les représentations de la Parisienne sont ancrées dans un imaginaire collectif que le cinéma, la publicité et les médias contribuent à alimenter. Même si la danseuse du french cancan, la demi-mondaine, les salonnières du XIXè siècle sont un lointain souvenir, la Parisienne suscite toujours autant d’attractivité.
— Est-elle la projection d’un idéal féminin imaginaire ou une réalité bien concrète ?
L’idéal féminin de la Parisienne reste instable et dépend des pays, des générations. Une russe ne considérera pas la parisienne de la même manière qu’une anglaise. Cela étant, la Parisienne renvoie l’image globale d’un lien privilégié à la mode, d’une élégance discrète, décontractée et distanciée. Elle n’est pas dans l’asservissement ni dans le consumérisme : elle sait être élégante avec peu de choses. Elle est la reine du casual chic, du mix and match. La Parisienne a aussi une réputation d’audacieuse : elle maîtrise la séduction, elle n’a pas froid aux yeux, elle n’est pas pudibonde et sait être coquine, tout en revendiquant aussi une pointe de romantisme. En fait, la Parisienne est dans l’équilibre, à l’image de la géographie de la France : un pays d’harmonie paysagère, aux terroirs variés. Elle est au carrefour d’influences diverses, sans jamais être dans l’excès.
HÉRITAGE
— Depuis quand parle t-on de Parisienne ?
C’est seulement à la fin du XVIIIè siècle qu’émerge cette dénomination au singulier, pour désigner un type, et non plus seulement les habitantes de la ville. Paris se distingue de Versailles, corsetée et refermée sur elle-même. C’est à Paris que se crée la modernité : Marie-Antoinette viendra la chercher pour échapper aux codes archaïques de la cour qui remontent à Louis XIV. Avec Napoléon Ier, Paris redevient le siège de la cour jusqu’en 1870 et s’érige en ville de la modernité, l’endroit où tout se joue(les carrières, les réputations, l’ascension sociale…). Il faut aussi souligner que la Parisienne émerge dans un contexte où l’opposition entre le masculin et le féminin se renforce.
— Comment ce mythe s’est-il construit ?
Le mythe s’est d’abord construit à travers la littérature, La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau, notamment, en 1761 et Le Tableau de Paris de Louis-Sébastien Mercier, en 1781, ce dernier portent un regard complet et empathique sur les gens de la rue, le peuple. Il ne faut pas oublier aussi le pouvoir des images, à travers les illustrations, les gravures de mode qui fixent une image de la Parisienne. La peinture jouera également son rôle à partir des années 1850, tout comme la chanson, la photographie, bientôt le cinéma et la BD…. Toutes ces créations culturelles et médiatiques orchestrent l’imaginaire du mythe.
— Le mythe a t-il mué à travers les siècles ?
Oui, les trois caractéristiques de la Parisienne que sont l’élégance, l’esprit et l’érotisme évoluent. Et c’est surtout la dimension érotique qui s’amoindrit à partir du XXè siècle, sous l’effet de la libération générale des mœurs. Mais jusqu’aux années 1910, la Parisienne incarne une forme d’audace érotique qu’on ne trouve pas ailleurs. Les élites masculines du XIXe siècle ne vont pas trouver très intéressant le modèle de la femme chaste et pudique qu’impose l’Angleterre victorienne au même moment. Brigitte Bardot s’inscrit encore dans cette mythologie. Aujourd’hui, l’esprit et l’élégance sont davantage l’apanage de la Parisienne.
PORTRAIT DE LA PARISIENNE
— Quelle est sa singularité ?
La Parisienne n’est pas spécialement belle, prétend la littérature. Mais elle a une séduction ineffable. Sa manière de bouger, de sourire, sa démarche lui donnent une beauté dynamique. Elle compose sa séduction par son jeu d’expressions et sa capacité à manier les accessoires. Sans être une intellectuelle, elle a le sens de la conversation, un sens de la répartie qui la rendent vivante et jamais ennuyeuse. Elle a longtemps représenté une forme de transgression et d’ouverture des possibles pour les femmes : plus libre, mieux insérée dans l’espace public. Sa facette érotique s’est aujourd’hui un peu atténuée. Le contexte social et culturel renvoie l’image d’une femme à l’élégance pondérée, parfois même perçue comme une forme de conservatisme.
— Pourquoi parle t-on de chic et de « chien » de la Parisienne ?
En fait, le terme chic provient de l’univers de la peinture : « peindre de chic » signifie peindre de mémoire, avec aisance et rapidité. Cette application du terme au « chic de la Parisienne » insiste sur son aisance dans sa manière de porter des vêtements. Le « chien » de la Parisienne renvoie à son allure, son aplomb. Il caractérisera longtemps les actrices et les demi-mondaines. Ces deux termes apparaissent au XIXè siècle, en raison de la démocratisation de l’élégance. Et finalement, ce qualificatif ambivalent subsiste et se pérennise.
— Quel est le lien de la Parisienne avec l’art de vivre à la française dans le temps ?
L’art de vivre à la française dépasse le mythe de la Parisienne. Les Français ont su développer un art de vivre spécifique, célébré dès le XVIIIe siècle. Gaies, enjouées, elles aiment danser, bien manger, vivre. Et ce sont ces qualités qui fascinent les étrangers. La mode, le monde du divertissement, la haute prostitution contribuent à forger ce mythe qui associe la haute et basse société et qui conjuguent l’aspect canaille avec l’élégance. Quand on disait d’une femme : « elle est très parisienne », on suggérait un registre un peu grivois, un peu coquin. Aujourd’hui, le terme serait plutôt synonyme de femme élégante, à la mode, sophistiquée, un peu mondaine aussi : à la page.
PARIS ET LA FRANCE
— La capitale de Paris a t-elle supplanté aujourd’hui la Parisienne ?
L’image de la Parisienne s’est construite dans un rapport dialectique avec celle de Paris. Paris, la plus grande ville d’Europe au XVIIIe siècle, capitale du plus riche royaume, une ville artistique exceptionnelle. Mais à partir de la fin du XVIIe siècle, il y a aussi Versailles. Versailles et Paris sont deux mythes qui fonctionnent ensemble et se complètent, tout en étant rivales. La modernisation de la ville de Paris au XIXè siècle contribue à asseoir son prestige patrimonial : elle devient ville de plaisir.
Aujourd’hui, les mythes de Paris et de la Parisienne subsistent. Paris est associée à l’art de vivre, avec sa gastronomie, sa vie artistique et culturelle. Certes la centralité de la Parisienne a décliné : la prostitution a reflué, la révolution sexuelle a eu lieu, les modes de vie occidentaux se sont homogénéisées. Mais il reste ce « je-ne-sais-quoi » qui reste ancré dans l’imaginaire.
— Comment s’articulent l’identité de la Parisienne et de la Française ?
Les deux ont toujours été complémentaires. Il suffit de regarder la littérature. Les Lettres Persanes de Montesquieu assimilent les Parisiens et les Français. Mais très vite au XIXè siècle, l’écart avec la province se creuse, en raison de la modernisation rapide de Paris qui creuse un fossé, une opposition entre Paris et la Province étriquée, comme y insiste l’écrivain Balzac dans ses romans. La Parisienne devient alors un exemple, un modèle à suivre pour la femme française. Madame Bovary en rêve à en mourir ! La Parisienne est l’avant-garde de la française. Il faudra cependant attendre les années 1960 pour que la province devienne moins décalée ou retardataire dans l’imaginaire social (transports et liens plus faciles avec la capitale, rôle de la télévision…). La Parisienne se fond alors dans la Française. Il suffit de regarder Catherine Deneuve, Romy Schneider, Brigitte Bardot qui sont à la fois identifiées comme parisiennes et bien françaises.
LES FIGURES EMBLÉMATIQUES DE LA PARISIENNE
— Marie-Antoinette serait-elle la première Parisienne ?
Sa jeunesse, sa quête de modernité (la mode avec Rose Bertin, les parfums Houbigant…) l’aimantent vers la capitale : elle y fait ses emplettes, assiste à des spectacles, va au bal de l’Opéra. Mais elle reste à Versailles, prisonnière de la cour et sera rejetée très vite pour des raisons essentiellement politiques.
La première Parisienne pourrait plutôt être Madame de Sévigné, grande aristocrate, qui dans son comportement, a démontré son indépendance d’esprit, sa liberté de parole.
Par la suite, la Parisienne renverra à une forme d’anonymat construit autour d’un type de femme, un type urbain qui se nourrit de tous les types de femmes croisées dans l’espace public de la ville (marchandes, grisettes, demi-mondaines, actrices, danseuses…)
— En quoi Sarah Bernhardt, Colette, Coco Chanel, Brigitte Bardot sont-elles typiquement parisiennes ?
Ce sont des femmes dont la vie est étroitement liée à Paris (sauf Brigitte Bardot pour la deuxième partie de sa vie). Elles y ont fait carrière et y conquis leur célébrité. Indépendantes d’esprit, libres dans leur corps et leurs amours, elles incarnent la séduction, le sex appeal à la française, en n’hésitant pas à transgresser certains tabous. Aujourd’hui, dans un monde globalisé, les canons ont changé et aucune figure de la Parisienne ne s’impose réellement : les types physiques et culturels se sont multipliés.
Finalement, la Parisienne conserve à travers le temps ce « je-ne-sais quoi » qui fait son élégance, son naturel et son détachement à l’égard des diktats de la mode. La sagesse et la modération en seraient-ils son secret tant envié ?