L’HIRONDELLE interroge François Delclaux, fondateur de l’agence Un Nouvel Air, agence de prospective en style et design. Il donne son regard sur l’univers de la maison aujourd’hui, sa compréhension des tendances émergentes et transmet sa sensibilité artistique sur les matières utilisées.
LE COVID
1. Quels sont les formes et signes émergeants dans l’univers de la maison face à la situation du covid?
Il y a bien entendu des signes émergeants qui vont impacter la maison. Je vois plusieurs évolutions fonctionnelles.
— C’est tout d’abord le SAS de décontamination, directement inspiré du Japon, où je me rends très régulièrement. Appelé genkan, ce vestibule sépare l’espace public de l’espace privé. Une marche rappelle symboliquement le seuil de démarcation et la nécessité de retirer ses chaussures avant de pénétrer dans l’intimité de la maison. Au-delà de la crise sanitaire, retirer ses chaussures induit l’abandon de son statut social et le basculement dans l’intimité, dans des relations douces et amicales. On commence à voir poindre ce phénomène chez les jeunes générations.
— De façon évidente, apparaît la maison-bureau! Les français ont été obligés avec les moyens du bord d’organiser un coin bureau pendant le confinement. Mais on assiste aujourd’hui au boom de l’équipement de bureau (table de bureau, chaise ergonomique, éclairage…). Et nous en sommes qu’au début. Beaucoup d’entreprises ont décidé de pérenniser le télétravail. C’est l’émergence d’un nouvel écosystème du travail qui va modifier l’organisation spatiale de la maison.
— Par ailleurs, je crois à la multifonctionnalité des pièces, comme au Japon, avec un double phénomène : l’intégration et la désintégration. Les espaces seront moins ouverts, mais plutôt segmentés par des systèmes de paravents qui font tomber la notion de spécialisation des pièces. Le mobilier devient léger, nomade et les fonctions tendent à être intégrées dans les placards.
— On ne peut pas oublier l’impact technologique. Même si personnellement, je n’ai jamais cru aux délires domestiques si bien vantés dans les films de Jacques Tati ! D’autant qu’à y regarder de près, ce sont plutôt des outils archaïques qui reviennent à la mode. Vous constaterez le retour en forces du vélo, de la trottinette de notre enfance ! Blague à part, il faut prévoir un coup d’accélérateur sur les outils qui protègent de l’extérieur, comme la filtration de l’air et la filtration de l’eau. On voit aussi émerger des objets qui se commandent sans contact dans les espaces de vie. Dans cette mouvance, se développement des surfaces autonettoyantes avec des matériaux comme le cuivre ou le liège qui ont des propriétés bactéricides. Finalement, l’habitat de demain sera fait d’objets écologiques, modulables, flexibles et nomades.
LES VALEURS DE LA MAISON
1/ Quelle histoire raconte la maison aujourd’hui ?
La maison raconte beaucoup d’histoires, mais j’en retiendrai deux : la protection et la nature.
— La protection
Ce besoin ne date pas du covid. Déjà, dans les années 2000, on aspirait au cocooning. On parlait déjà de maison-refuge. Mais un phénomène venu des pays nordiques se confirme aujourd’hui : c’est le hygge, cette idée du confort au service de ses habitants. C’est l’arrivée de la maison « aimable », confortable et douce à vivre. On se rapproche des valeurs féminines de bienveillance, générosité, simplicité, du care. On peut noter au passage que l’écran est dans le prolongement de la métaphore de la bulle protectrice : le masque sur le visage fait écran, les échanges se font derrière un écran d’ordinateur, les contacts se jouent derrière un écran en plexi ! On est loin de la maison statutaire, où se joue une mise en scène parfois ostentatoire de soi à travers ses objets.
— La nature
La nature s’installe dans nos maisons. Regardez la vogue des végétaux qui envahissent nos intérieurs, ou encore le urban farming qui se caractérise par l’envie de cultiver sur son petit balcon. Ou pensez aussi à ces collectifs architectes-urbanistes et agriculteurs qui cherchent peut-être de façon utopique à promouvoir une ruralité radicale. Par ailleurs, il faut établir un lien entre la protection et la nature. La maison est une globalité comme la planète. Elle est un écosystème en soi connecté.Une fois encore, les japonais l’ont compris. Les terrariums sont une métonymie du cosmos et une représentation du monde, avec sa mousse, ses galets, ses montagnes… Cela dit l’importance du choix de matériaux naturels, durables et écoresponsables. C’est indéniablement l’avenir du luxe.
2/ Que signifie le concept du Beau dans la maison aujourd’hui ?
La subjectivité du beau est insurmontable depuis Hegel ! On pourrait parler de goût. Mais je préfère dans notre contexte parler de qualité. Le consommateur porte une grande attention au choix d’objets qualitatifs, non jetables, moins éphémères et moins « métissés ».
Cela n’a rien à voir avec les objets des années 2000 de la mondialisation. Aujourd’hui, on assiste à une montée en gamme et en style des objets. C’est finalement la qualité intrinsèque de l’objet qui en fait sa beauté. J’ai envie de parler de « l’honnêteté » de l’objet qui dit l’origine de sa fabrication. On est dans le beau/le bien/l’honnête. Tout cela est bien entendu sans rapport avec le prix de l’objet.
3/ Parmi les notions de plaisir, proximité, éthique… quelles sont celles qui dominent le choix d’un objet pour la maison actuellement ?
La motivation aujourd’hui est « la nouvelle tradition ». Le local, la proximité, le ralentissement (qui n’implique pas la décroissance) sont au coeur des préoccupations contemporaines. C’est la question du « sujet situé » en philosophie et sociologie : qui parle derrière l’objet, d’où parle t-on ? Un artisan du Gers ne parle pas comme un artisan du nord de la France. C’est ce que j’appelle la radicalité territoriale, au sens de racine. A la faveur de la crise sanitaire (1 km de distance…), on a retrouvé l’idée de l’ultra local avec le savoir-faire de l’artisan au centre de la création. L’objet est comme un produit du terroir !
Mais, à cela s’ajoute un phénomène nouveau : l’enracinement local se double d’une éthique de développement durable. C’est le lieu, l’ici et le sujet qui font la forme. Cela bouleverse totalement le paradigme de la mondialisation en promouvant un courant plutôt patrimonial et conservateur, rétif au métissage.
MATIÈRES& SAVOIR-FAIRE
1/ Comment expliquez-vous le retour au matériau de la terre ?
Avec la reterritorialisation, c’est la terre qui est le matériau de prédilection. La terre est authentique, ductile et intéressante à travailler pour sa plasticité. Elle fait appel à un savoir-faire ancestral. On est dans le vernaculaire. Regardez encore au Japon la tradition des trésors vivants qui consiste à célébrer les artisans d’art. Le Wabi-Sabi n’est ni plus ni moins que l’éloge de l’imperfection, de la trace du geste de la main, de l’objet unique non reproductible et de la signature d’une qualité.
La terre renvoie à une relation respectueuse de la nature, de la planète-terre : une terre-géographie, une terre-géologie, une terre sédimentant une variété de territoires. Ce sont toutes ces notions qui donnent une coloration particulière à l’objet presque sacralisé.
2/ Quelles matières textiles ont le vent en poupe ?
Deux tendances : l’ultranaturel et l’ultra recyclé.
— Les matières ultranaturelles sont aujourd’hui le chanvre et surtout le lin qui ne nécessite ni engrais, ni irrigation. Les maisons de textile abondent en produits faits en lin lavé.
— S’agissant de l’ultra-recyclé, c’est l’essor des textiles plastiques recyclés (PET) pour ameublements souples. On a aussi le cuir végétal à base d’algues, fibres d’ananas…
Il y a un grand avenir autour de ces deux tendances.
3/ Y a t-il des savoir-faire, des métiers en pleine effervescence et/ou renaissance ?
Le bois est le matériau privilégié, on assiste à des phénomènes intéressants. Les architectes l’utilisent pour concevoir des maisons ou des immeubles résilients. Les artisans réhabilitent des savoir-faire ancestraux autour de la sculpture sur bois, l’ébénisterie, la marqueterie… On revient à la tendance Art&Craft qui remet au goût du jour l’objet unique :on voit l’empreinte de la main dans l’objet. Et cet objet est beau parce qu’il a du sens : il est authentique, il convoque l’imaginaire, il est poétique.
4/ Et quelles sortes d’objets voient le jour ?
On est dans l’objet organique qui évoque sa parenté avec le vivant par sa matière mais aussi par sa forme. Il est arrondi, enveloppant, doux, souple, caressant.
Il faut aussi considérer l’objet dans sa dimension totémique, souvent figuratif et expressif dans la mouvance créative de Picasso, Matisse qui réveille l’imaginaire. On est bien loin de l’objet fractal rationnel !
Face à cette période incertaine, il me semble essentiel de trouver un sens à la consommation. Confrontés à l’urgence écologique, il ne s’agit pas de moins consommer, mais de mieux consommer en donnant plus de sens à l’objet.
Interview réalisée par L’HIRONDELLE
Photo : Collection IXC Tokyo-sélection et mise en scène François Delclaux, agence Un Nouvel Air