La symbiose entre l’homme et la nature en Asie : l’interprétation des marques

regard en Asie vu par L'Hirondelle

L’HIRONDELLE interroge Jean Hénaff, sémioticien et consultant spécialisé sur l’Asie. Il met en lumière la philosophie à l’origine du lien entre l’homme et la nature et montre son enracinement dans les marques de l’art de vivre. 

1) Avant de plonger en Asie, quelle est votre regard sur la vision occidentale aujourd’hui de la relation entre l’homme et de la nature ?

La séparation entre l’homme et la nature est fortement ancrée dans la culture occidentale, même si cela s’est atténué. La maîtrise de la nature relève du rationalisme mais a aussi ses sources dans le christianisme.

Deux références me viennent à l’esprit.

Le peintre américain Thomas Cole (1836) illustre parfaitement cette idée largement répandue en occident en départageant artistiquement la frontière entre la nature « cultivée » et la nature « sauvage ».

La nature est même associée au crime chez Baudelaire : « La nature n’enseigne rien ou presque (…) la nature ne peut conseiller que le crime. La vertu au contraire est artificielle, surnaturelle, puisqu’il a fallu des dieux et des prophètes pour l’enseigner à l’humanité… » (« Éloge du maquillage »).

la nature et l'homme en occident

 

2) Cette vision occidentale a t-elle inspiré l’Asie ?

Il est intéressant de noter que cette « idéologie occidentale » s’est développée sous le communisme chinois dans les années 50. L’affiche ci-jointe dit «  L’homme doit conquérir la nature » .

Au Japon, dans l’après-guerre capitaliste, la volonté de contrôler les catastrophes potentielles de la nature (typhons, tsunami…) a donné lieu à l’artificialisation des rivières et à la construction de barrages décriés ensuite pour leurs conséquences négatives sur l’écologie.  

Dans ces 2 pays asiatiques, la volonté de faire passer l’industrialisation au premier plan révèle sa contradiction avec leur philosophie d’origine. Aujourd’hui, il y a un retour à la manière traditionnelle asiatique de concevoir la nature, sans chercher forcément à s’inspirer de l’écologie occidentale.

3) Quelle est cette philosophie ?

« L’homme et la nature ne font qu’un ».

Le principal mot utilisé aujourd’hui en Chine et au Japon pour désigner la « nature » remonte à Lao Zi et s’écrit avec 2 idéogrammes très signifiants : le « soi-même » et « ce qui est correct et tel quel ». La nature englobe tout, y-compris l’humain et sa civilisation. La nature est l’ultime « grand tout » qui existe par soi-même et définit les bonnes règles à suivre

« Les hommes suivent les lois de la terre

La terre suit les lois du ciel

Le ciel suit les lois du Tao

Le Tao suit les lois de la nature »

4) Quels sont les conséquences de cette philosophie dans la culture asiatique ?

Dans le domaine artistique, l’artiste qu’il soit poète, peintre, calligraphe, doit être inspiré par la nature. L’artiste est encouragé à contempler et à ressentir le flux créatif de la vie et à s’oublier pour s’y joindre. Il devient la main de la nature: le résultat de son travail est une création de la nature elle-même.

De la même manière, la beauté est forcément naturelle, car la beauté vient de la nature et elle doit apprendre de la nature.

Dans la vie de tous les jours, l’idée de base est que sur le long terme il est illusoire et peu efficace de s’opposer à la nature. Il vaut mieux aller dans son sens, en tirer parti : « nager dans le sens du courant »

5) Dans le cas du Japon, il y a aussi une autre source, historique et très concrète à l’écologie

C’est le fait que le pays a vécu en circuit fermé, et donc avec des ressources naturelles limitées pendant toute la période Edo (1600-1868).

A la suite d’une guerre civile, un pouvoir centralisé fort (le « shogunat ») s’installe et coupe quasiment tous les échanges avec l’étranger. Le pays doit se suffire à lui-même, alors que la demande de bois pour la construction, les outils et le chauffage est en forte hausse avec la prospérité retrouvée.

Le shogunat comprend alors le danger du défrichement et décide de stopper la déforestation et préconise le recyclage du bois. La reforestation et la gestion sur le long terme des forêts sont instaurées. Cela a considérablement amélioré la situation au Japon, à telle enseigne que les forêts sont en très bon état et le pays reste très boisé encore aujourd’hui.

6) Pouvez-vous illustrer l’enracinement de la nature dans les marques de l’art de vivre au Japon et en Chine ?

COSMÉTIQUE

THREE: comme l’indique le chiffre 3, c’est l’harmonie entre l’esprit, le corps et la peau. Les visuels montrent la symbiose entre la femme et la nature. Les produits aident la peau, en stimulant les mécanismes naturels. Finalement, chaque femme a en elle les capacités naturelles d’être belle et le produit de beauté doit les révéler.  (threecosmetics.com)

Shiseido a lancé la gamme de produits BAUM qui signifie « arbre » en allemand. Une partie des pièces des packagings est à base de chutes de découpes de bois récupérées et réutilisées, comme à l’époque Edo ! (baumjapan.com)

MAISON

Le lien est très fort entre l’intérieur et l’extérieur. Regardez l’habitat japonais avec des maisons toujours ouvertes sur la nature. Le jardin doit être vu depuis la maison. Et on recrée la nature dans son intérieur avec des objets naturels souvent « bruts » . C’est l’exemple de la marque japonaise de meubles artisanaux Xyl . Les meubles en bois bruts sont issus de la forêt japonaise gérée de façon responsable, ils font partie d’un grand cycle écologique pour ne pas épuiser la nature,depuis le shogunat :  « Les arbres peuvent être cultivés et régénérés contrairement au fer, au pétrole et au plastique. Ils peuvent également retourner à la nature »comme le dit le site de la marque.

ALIMENTAIRE

La marque Radish Boya propose au Japon des produits alimentaires en circuit court, venant de producteurs locaux qui pratiquent une agriculture responsable. Elle est également intéressante dans cette idée du « grand tout » et l’idée selon laquelle bien cultiver, bien cuisiner et bien manger préservent les générations à venir.  « Notre nom vient du mot latin « RADIX » qui signifie l’origine des choses. Et « boya » signifie les enfants, la prochaine génération.
Ce nom fait référence aux racines des choses telles que la vie des humains, des animaux et des plantes, l’environnement naturel et la culture que l’on veut mieux connecter à l’avenir. »
(radishbo-ya.co.jp)

 Le « bio » est moins développé au Japon qu’en Europe. Ce décalage vient peut-être du fait que le Japon ressent moins l’urgence d’y recourir :  le respect de la nature fait déjà partie de sa culture et de la vie quotidienne d’une certaine façon.

7) Peut-on parler de la notion de terroir en Asie qui est une forme d’harmonie entre une terre, des hommes et un savoir-faire ?

On parle en France de terroir qui est l’exemple de la parfaite cohabitation entre un territoire aux qualités naturelles préservées et la perpétuation d’un savoir-faire par la population qui y habite. Cette notion existe aussi en Asie. En Chine, il y a des exemples intéressants comme avec une marque de Yaourt de Mongolie qui associe nature et tradition culturelle. Le savoir-faire traditionnel de la production de yaourts en Chine vient en effet de Mongolie. L’image montre la nature de la Mongolie préservée, et le nom du yaourt est typique de la langue mongole : Telunsu qui veut dire le « meilleur niveau ».(Tmall.com)

 

8) En quoi les nouvelles technologies sont-elles un prolongement de la nature pour les asiatiques ?

CUISINE

Au Japon, dans l’univers de la cuisine, Vermicular est une marque haut de gamme qui représente une parfaite alliance entre tradition, la haute technologie et la qualité naturelle de l’alimentation. La cocotte en fonte est conçue pour une parfaite étanchéité, ce qui permet de cuisiner les aliments sans adjonction d’eau et préserver leur qualité naturelle gustative. Grâce à un socle de cuisson high tech qui automatise tout le processus, on peut tirer parti des aliments tels qu’ils sont dans la nature, avec un minimum d’effort. (Vermicular | Home | Japanese Cast Iron Cookware)

COSMÉTIQUE

Future Skin by Fine Fibre Technology est un exemple qui montre l’intégration harmonieuse de la technologie et de la nature, par un processus d’imitation (« biomimétisme ») . Ici, est reconstitué un voile en forme de cocon de soie vaporisé sur le visage. Pour les soins de la peau, c’est un moyen d’accélérer la pénétration des produits de soin pendant la nuit par capillarité. Pour le maquillage, cela devient une base couvrante à utiliser avant l’application du fond de teint pour un résultat de peau parfait. La publicité va jusqu’à dire que ce voile de soie permet de préparer au mieux le futur d’une peau destinée à vivre 100 ans. Derrière cela, il y a le bouddhisme et l’idée selon laquelle les actions d’aujourd’hui auront un impact sur notre vie du futur. (future-skin.com)

— FANCL, marque très populaire au Japon et en Chine, née dès les années 80, met l’accent sur la pureté et le minimalisme. On ne parle pas directement de nature, mais on le sous-entend car la marque rejette l’artificiel. La femme est belle car tous les ingrédients nuisibles (conservateurs, colorants, parfums…) sont éliminés. Encore ici un lien indirect avec la philosophie bouddhiste et sa recherche positive du « rien » : c’est le « sans » en soi qui rend belle. On n’a pas cela en Europe, car lorsqu’on supprime un conservateur, ce n’est qu’une étape, positive, mais insuffisante, il faut toujours « quelque chose en plus ».(English?FANCL)

 

 

En conclusion, je dirai que l’impératif écologique n’est pas vécu comme un diktat occidental. Il est enraciné dans la culture. L’Asie a le savoir, la base philosophique qui font partie de sa culture pour développer sa propre vision de l’écologie.

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