LA VILLE EST DANS NOS TÊTES

L'hirondelle et la ville

L’HIRONDELLE interroge Patrice Duchemin, sociologue de la consommation, animateur et rédacteur du mensuel de décryptage du commerce et de la vie quotidienne (observatoirecetelem.com/loeil/). Il nous apporte son regard percutant sur la ville aujourd’hui.

LA VILLE EST MENTALE

La ville aujourd’hui est-elle devenue à ce point le lieu de tous les maux qu’elle donne envie de la quitter et de rechercher de nouvelles racines à la campagne?

La ville n’existe pas en tant que telle. Elle est mentale. Elle est un imaginaire. La ville est le reflet de ce qui se passe dans la société et dans nos têtes. Depuis la révolution industrielle et, plus encore, durant les 30 glorieuses jusqu’aux années 90, la ville est parée de toutes les valeurs positives : rapidité, efficacité, modernité. Ceux qui ne vivaient pas en ville étaient un peu exclus de la société. Le monde rural paraissait arriéré. Aujourd’hui, suite à la crise sanitaire, la ville est regardée avec tous les défauts… qu’elle a toujours eus, mais qu’on supporte moins ou qu’on ne veut plus voir. Donc, prudence : ce n’est pas la ville qu’on fuit, mais la vie en ville.

On assiste en ce moment à un changement d’imaginaire, de paradigme. La ville est regardée négativement : elle est trop bruyante (la récente obligation de respecter les 30 km/h à Paris est faite pour réduire le bruit), elle ne produit pas assez de végétal, elle est devenue violente (tension urbaine), polluée, stressante. Mais attention aux grandes intentions. Nous mesurerons combien de personnes ont réellement quitté la ville dans un an. La ville c’est la vie. Quand la vie va bien, la ville va bien. Quand la vie va moins bien, la ville va moins bien.

Ce n’est d’ailleurs pas tant la petite ville, associée monde rural, que la ville moyenne qui attire désormais. On cherche à aller vers des villes moyennes, pour avoir une qualité de relations humaines, une qualité de vie. Les gens ne partent pas au fin fond de la Lozère, mais à Rennes, Orléans, Chartres, Angoulême où il y a une qualité de vie supposée. Il n ’y a pas de compétition ou d’opposition entre la ville et le monde rural, mais entre les métropoles et les villes moyennes qui disposent de transports et de services (Poste, université, école, hôpital…). On souhaite une ville avec des services, une ville redimensionnée, à échelle humaine. Une ville réinventée à l’aune de la dé-densification pour un idéal de vie où tous les inconvénients de la ville seraient effacés.

Il faut noter que ce sont plutôt des CSP+ qui quittent les grandes villes car ils peuvent travailler à distance ou ont déjà un patrimoine qui leur permet de changer de vie et de supporter une baisse de revenus. Mais ils partent souvent avec leurs idées et leurs attentes qui ne sont pas toujours celles des locaux, ce qui peut être générateur de conflits. Conséquence, il n’y a pas d’intégration mais une juxtaposition de populations. Un phénomène qu’il faudra surveiller dans les années à venir.

LA VILLE EST APPROPRIATION

Que signifie aujourd’hui «habiter une ville» ? Vivre en ville peut-il se rapprocher de l’expérience de la «vie de village » ?

« Habiter une ville » aujourd’hui, c’est être « habitant d’une ville », c’est-à-dire au sens strict « habiter en mouvement ». Avoir une adresse en ville, ce n’est pas habiter la ville. Aujourd’hui, chacun doit se comporter comme un acteur de sa ville, de son quartier : s’impliquer dans son organisation, sa circulation, son univers associatif et éducationnel, voire, pour certains, sa sécurité. Depuis peu, les habitants d’un quartier prennent même en main l’offre marchande qui leur est destinée en organisant des rencontres avec des « petits producteurs » ou de « jeunes créateurs ». C’est tout un nouvel imaginaire qui se met ainsi en place. On ne parle d’ailleurs plus d’arrondissement, mais de quartier et même, de plus en plus souvent, de village lorsque l’on mentionne l’endroit où l’on habite. C’est le signe d’une volonté d’appropriation autant que d’une envie de s’imaginer « ailleurs ».

LA VILLE EST CIRCULATION

Quels ont les enjeux de demain pour la ville ?

La ville n’est pas une cause perdue ! Il faut la repositiver en répondant aux attentes du moment : de la verdure, de la dé-densification, des espaces de rencontres et du « agir ensemble ». La ville participative est un enjeu clé pour demain. La sortie de la crise sanitaire est en quelque sorte l’année zéro d’une nouvelle ère pour la ville. L’histoire de la ville, c’est l’histoire de ses habitants. Il y a une crise sanitaire, les gens ont envie de quitter la ville. C’est un phénomène compréhensible. La ville doit s’adapter aux attentes de ceux qui ont choisi de rester.

La première vertu d’une ville tient à sa capacité à provoquer la circulation des idées, des rencontres, des liens, de la culture… C’est cette promesse que toutes les villes doivent aujourd’hui souligner. Surtout les villes moyennes qui vont se retrouver face aux attentes des nouveaux arrivants et pour qui ce sera une véritable révolution culturelle et d’organisation.

Ce qui attire les nouveaux arrivants, c’est la quête d’authenticité : des « vrais gens » c’est-à-dire un mélange de classes, d’âges, d’histoires… Mais il y a un effet pervers à l’authenticité. Car l’arrivée de ces nouvelles populations provoque rapidement l’augmentation des prix immobiliers, donc le risque de chasser les locaux et de réduire la mixité et la diversité. C’est le paradoxe de la quête d’authenticité.

LA VILLE EST UNE PAGE A ÉCRIRE

Raconter la ville dans sa singularité, n’est-ce pas un enjeu de communication pour croiser les regards et redonner du sens ?

Oui, un enjeu de communication qui est d’abord un enjeu de story-telling pour les villes moyennes. Car, raconter la ville n’est pas raconter son histoire, mais proposer un récit commun qui emporte tous les habitants vers demain et qui suscite l’adhésion. Les maires devront tenir compte des valeurs de la région, de son histoire et de l’identité de son territoire tout en accueillant les nouvelles attentes des nouveaux des arrivants. Il n’est pas surprenant que de nombreuses villes proposent aujourd’hui des pépinières pour accueillir des entreprises en développement ou des espaces de co-working destinés à ceux qui télé-travaillent et ne veulent pas travailler de chez eux.

Dans ce contexte d’écriture de nouveaux récits, les  marques locales peuvent jouer un rôle déterminant. Elles peuvent contribuer à l’attractivité de la ville (notoriété, création d’emplois) mais aussi participer par leur engagement à l’émergence du nouvel imaginaire désormais  attendu. Chacune d’entre elles peut ainsi participer à la préservation de savoir-faire, de métiers menacés. La quête du Made in France peut très vite devenir celle du Made in ici… d’où l’intérêt pour les villes petites et moyennes de faire vivre les marques qui leur sont associées par des événements mêlant leur histoire (patrimoine, culture) et les enjeux de demain (énergie, environnement). De plus en plus de marques cherchent aujourd’hui à valoriser une appartenance locale.

 

 

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