LES RITUELS AU SERVICE DES MARQUES

LES RITUELS AU SERVICE DES MARQUES

L’HIRONDELLE interroge Patrice Duchemin, sociologue de la consommation, animateur et rédacteur du mensuel de décryptage du commerce et de la vie quotidienne (observatoirecetelem.com/loeil/). Il nous apporte son regard aiguisé sur les rituels.

1. Que révèle la Covid sur les rituels ?

Les rituels ont toujours structuré nos vies, personnelles (pas toujours bien vus car associés à de « petites habitudes enfermantes ») aussi bien que sociales (rites de politesse).

La crise sanitaire nous a contraint à adopter de nouveaux comportements qui sont vite devenus de nouvelles habitudes : se laver les mains avec du gel hydro-alcoolique, porter le masque, ne plus se serrer la main… Une gestuelle rassurante et nécessaire rapidement adoptée qui prouve que nous n’y sommes pas hostiles et que les marques pourraient, elles aussi, facilement installer chez leurs acheteurs. Les marques de cosmétiques ne parlent-elles pas souvent de « routines beauté » ?

2. Quel est l’intérêt des rituels pour les marques?

Les rituels constituent une réelle opportunité pour les marques. Ils sont un nouvel espace d’expression capables d’enrichir leur discours, leur image et même de renforcer leur pouvoir dans une logique « d’empowerment ». Plus je reproduis des rites de marques, plus ma relation à celle-ci se renforce. Ils sont le signe d’une ouverture à une nouvelle réalité et à une autre façon de consommer. Prenez un biscuit, il y aura peut-être, demain, de nouveaux rites à inventer pour le savourer autrement : un discours sur la manière de le sentir, le regarder, le toucher, se préparer à le déguster… L’instauration de nouveaux rites contribue à donner de l’épaisseur à l’univers de la marque.

Le rite est un enjeu pour une marque ou une enseigne. En particulier pour les marques de luxe, mais pas seulement. Durant tout le parcours client, de l’accueil à l’accompagnement jusqu’à la sortie. Les rituels sont autant d’occasions de créer de nouveaux points de contacts entre une marque et ses acheteurs.

J’associe le rituel à deux mots-clés. Le premier : l’appropriation. Le rituel est une passerelle vers l’appropriation. Le produit devient mon produit à travers mon geste. Le deuxième mot-clé est l’expression de soi. L’application d’un rite délivré par un expert peut être l’opportunité pour un amateur d’inventer son propre rite à partir de sa propre expérience. Il en ressort plus fort.

Finalement, la grande vertu du rite est de redonner du sens à la consommation. Le rite est structurant, créé des repères et instaure une nouvelle forme de lien.

3.  Est-ce que la Covid a favorisé des rites communautaires générationnels, notamment chez les Millennials ?

La Covid n’a pas induit de nouveaux rites communautaires. Au contraire. Chacun n’a jamais eu autant envie de se créer son espace personnel : espace de coworking, espace pour ados…

En revanche, il est important de souligner que chaque génération n’existe que par des rites qui lui sont propres. Après mai 68, c’était le désir de partir à la campagne élever des moutons, de fumer des pétards… Aujourd’hui, les Millennials se retrouvent autour d’autres codes identitaires pour montrer leur différence : Instagram, même habillement, même vocabulaire, être assis par terre dans la rue en temps de Covid pour manger des Haribo avec les potes contactés sur les réseaux sociaux… Retrouver sa tribu, c’est retrouver des rites.

Une génération n’existe que par des rites. Et s’agissant des Millennials et de la Gen Z, la technologie est un accélérateur de rites avec des messages cryptés. A l’origine, des raccourcis et des acronymes ; désormais, beaucoup de gestes et de postures… difficiles à comprendre par leurs parents.

Parmi les nouveaux rites des 25-35 ans, regardez le succès des Happy-hours et de l’After-work, véritable « moments tampon » entre la journée de travail et le retour au domicile… qui faisaient les bonnes affaires des cafetiers dans le monde d’avant…

Le rite est donc bien un facteur d’intégration sociale générationnelle.

4. Vers de nouveaux rituels ?

Initier à de nouveaux rites peut conduire à la transformation d’une société. Les « 5 légumes et fruits par jour » ont fini par devenir de nouvelles habitudes alimentaires. Et la technologie peut aujourd’hui y aider comme le prouve ces applications capables de calculer le nombre de pas effectués chaque  jour…

Les séries TV participent aussi, presque inconsciemment, à la diffusion de nouveaux rituels. Ainsi, dans la série Ici tout commence sur TF1 qui a pour décor une école de cuisine, rares sont les plans qui ne mettent pas en scène des élèves en train de faire du sport… Les exercices sportifs sont présentés comme un art de vivre faisant désormais partie de l’éducation, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Thierry Marx parle souvent du Faire et du Comprendre. J’y vois là une dialectique intéressante : faut-il comprendre pour faire (la logique de l’Education nationale) ou bien faire pour comprendre (la logique des tutos) ? Pour les nouvelles générations, et dans certains domaines, on voit bien la voie à privilégier. On voit bien, aussi, le rôle joué les rites dans cette approche.

Demain, j’imagine parfaitement de nouveaux rituels associés à la musique. Parce que la musique est devenue un élément naturel pour les nouvelles générations (le iPod est né en 2001 et Soptify en 2006) autant qu’un signe d’appartenance communautaire. Barilla ne vient-elle pas de lancer sur Spotify des playlists conçues pour incarner la durée précise du temps de cuisson de ses pâtes ?

 

 

 

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