QUEL EST LE PARFUM DE VOTRE VOIX ?

La voix et le parfum chez L'Hirondellee

L’HIRONDELLE interroge Annick Le Guérer, anthropologue et philosophe, spécialiste de l’odorat, des odeurs et du parfum à propos de l’écriture de son dernier livre : Le parfum et la voix, une rencontre inattendue*.

1/ Quelle est la nouveauté de votre livre ?

Il s’agissait de montrer les correspondances qui existent entre le parfum et la voix, leurs points communs, leur complémentarité et leurs concordances. Nous n’avons en effet pas conscience que l’accord voix-parfum/ parfum-voix est omniprésent dans notre patrimoine culturel et dans les traditions religieuses anciennes. Il faut remonter à 1862 avec Septimus Piesse parfumeur-chimiste qui a cherché à démontrer des concordances entre les notes olfactives et les notes musicales !

Les scientifiques, longtemps focalisés sur le parfum et la vue, ont commencé seulement à s’intéresser à la synesthésie audio-olfactive dans les années 2000.

Et comme l’odorat est un sens qui, pour des raisons religieuses et culturelles, a été très longtemps peu  exploré, le retard sur l’étude de la voix et du parfum est considérable.

2/ Quelles sont les découvertes majeures ?

 Ce sont principalement des découvertes neuroscientifiques.

— Le tubercule olfactif dans le cerveau fait converger la sensation olfactive et vocale (découverte américaine de Daniel Wesson et Donald Wilson)

— Le rhinencéphale qui accueille les sensations olfactives accueille aussi des sons (découverte de Jean Didier Vincent)

— Une preuve supplémentaire : l’IRM montre que les neurones olfactifs sont activés lorsque le nom d’une odeur est prononcé, même en l’absence d’une odeur

Le but des scientifiques : toujours mieux comprendre le fonctionnement du cerveau et approfondir la différenciation des sens.

3/ Quelles sont les voies d’application ?

 Les correspondances entre le parfum et la voix recèlent par leur mystère, la richesse de leurs nuances, d’étonnantes potentialités neuroscientifiques, thérapeutiques et artistiques.

On connaissait les pouvoirs de l’aromathérapie, l’importance de la « voix médicament » (Marcel Rufo). L’effet conjugué de la voix et du parfum doit être d’autant plus bénéfique : cela réduit le stress surtout lorsqu’il s’agit d’une voix et d’un parfum connus de la personne. Ainsi des protocoles impliquant voix et parfum se mettent en place dans les Ehpad.

Le domaine artistique n’est pas épargné et a de beaux jours devant lui, à l’heure des expériences sensorielles : parcours olfactif de L’Heure Bleu de Guerlain accompagné de sons et voix évocateurs des souvenirs ; Morgane Tschiember réalise à Murano un flacon-sculpture pour Miss Dior et explore les sensations synesthésiques voix-odeurs à la libération du parfum qui, par un système de puce électronique, déclenche en même temps le son  d’une voix.

Un monde nouveau s’ouvre aux artistes et libère un nouvel imaginaire.

4/ Quelle a été votre plus grande surprise ?

Les parfumeurs ont souvent eu le désir d’être musiciens ! Ainsi, Edmond Roudnitska (Eau Sauvage) voulait être chanteur d’opéra. Pour Patricia de Nicolaï (Maison de Nicolaï), la compréhension du solfège est un préalable à la composition réussie d’un parfum : les accords musicaux sont les mêmes que les accords olfactifs. Lorsque Francis Kurkdjian crée un parfum pour une personne particulière, il a besoin de l’entendre pour connaître sa voix. L’italien Sorcinelli va jusqu’à composer des parfums à partir des voix, comme celle de La Calas.

Finalement, la voix, la musique sont une source de création pour les parfumeurs, tandis que les parfums inspirent les compositeurs de musique. Car la voix comme le parfum se propagent dans l’air et « transportent les notes musicales et odorantes et les portent au coeur » explique Francis Kurkdjian.

5/ La voix-parfum à l’heure de l’intelligence artificielle ?

L’intelligence artificielle peut créer des voix, chercher à créer des parfums sans intervention humaine. Mais rien ne remplacera l’émotion du grain, la tessiture d’une voix humaine, le pouvoir de l’imagination humaine : la création émotionnelle reste subjective, unique et ne peut être standardisée par des algorithmes.

Finalement, on peut dire que la convergence voix-parfum (une voix légère est florale, une voix basse est boisée) signe l’identité de chaque individu.

La voix-parfum inoculée en soi révèle l’âme de chacun et peut, comme dans les rites de l’antiquité égyptienne et la religion chrétienne, ouvrir à la transcendance divine.

 

* La recherche sur ce livre qui a duré 8 ans a été menée en collaboration avec Bruno Fourn, détenteur d’un immense patrimoine sonore.

 

Envoyez-nous un message