À l’heure du digital, les sens n’ont paradoxalement jamais été autant sollicités pour dévoiler les facettes identitaires d’une marque à travers de nouvelles formes de storytelling. Quelles sont les formes d’expression éditoriale de la vue, de l’ouïe, du toucher, de l’odorat et du goût ? Quel rôle jouent-ils dans l’expérience émotionnelle de l’internaute ?
LES SENS DE LA VUE ET DE L’OUÏE SONT LES PILIERS DE L’IDENTITÉ DES MARQUES SUR LE DIGITAL
1. L’identité visuelle, un premier repère d’engagement
Le sens de la vue est évidemment le plus sollicité. La marque attire par son logo, ses codes couleurs et l’univers visuel de ses produits. Les marques cherchent à aller toujours plus loin pour surprendre et laisser une vive empreinte.
Certaines vont actuellement même jusqu’à bousculer l’identité graphique de leur logo patrimonial. « Le voilà qui se réveille. Une nouvelle opportunité pour les marques qui veulent exprimer leur vision du monde. » selon le sociologue Patrice Duchemin. C’est le cas de la marque Lacoste qui substitue des animaux menacés à son emblématique crocodile pour attirer l’attention de ses clients sur la préservation des espèces.
L’impact visuel de la photo, qu’elle soit fixe ou animée en story, est également en train de changer de nature. Plus « brute », moins sophistiquée (même si en réalité, elle est très travaillée), la photo devient une invitation au partage d’une histoire vécue, d’un message que souhaite transmettre la marque. Les mosaïques sur instagram mettent en scène des produits provenant d’un rêve, tout en étant très ancrés dans la réalité. C’est la proposition d’un retour à une nature plus proche faisant coexister lapins et accessoires de mode chez Gucci. L’effet de surprise, l’originalité de la réalisation permettent de comprendre la posture relationnelle que cherche à instaurer la marque.
Le principe de la réalité augmentée est un outil visuel également très intéressant. Il embarque le consommateur et lui fait vivre une expérience source d’émotions, mais aussi d’apprentissages avant d’acheter. Essai de lunettes, de produits de beauté… c’est le cas par exemple des lipsticks Gucci.
2. Le son, un capital identitaire puissant
Le sens de l’ouïe a le vent en poupe actuellement. Les sons ont une influence très efficace sur l’individu, car ils jouent sur l’inconscient des clients. L’écoute de musique augmente «l’émission de dopamine, ce neurotransmetteur que le cerveau libère lors d’une expérience positive» (selon l’ADN). « La musique est la langue des émotions » disait le philosophe Kant. D’un point de vue cognitif, les éléments sonores sont de véritables indices mnésiques, facilitant le rappel d’une marque. De nombreux secteurs tels que l’hôtellerie, l’automobile, la restauration, les transports et l’aviation n’hésitent pas à l’utiliser.
La musique, la voix facilitent en effet la communication au-delà des mots. De plus en plus, les marques y recourent pour séduire les millenials. Mais pas seulement. En se rapprochant d’artistes, elles cherchent à promouvoir certaines valeurs qui peuvent leur faire défaut. Elles donnent ainsi une autre dimension à leur identité de marque : ouverture à la créativité, ancrage dans la modernité, réaffirmation originale de leur singularité. Ainsi, Lacoste, dans une récente campagne réaffirme son identité française en choisissant une chanson vintage d’Edith Piaf « l’hymne à l’amour ».
Le succès actuel du podcast est une autre manière intéressante de se rapprocher de ses lecteurs en leur racontant de belles histoires. Mais c’est également l’occasion de les faire pénétrer au cœur des coulisses inaccessibles d’une marque, sous la forme de rendez-vous réguliers. C’est ce que fait la Maison Chanel avec sa chaîne 3.55 ou encore la Maison Hermès avec Le Faubourg des rêves : celles et ceux qui portent les savoirs et savoir-faire de la maison imaginent leur rêve créatif.
L’ODORAT, LE TACTILE ET LE GOÛT SONT SUGGÉRÉS PAR LE BIAIS DES SENS DE LA VUE ET DE L’OUÏE
1. L’odorat, c’est tout une histoire à raconter !
L’odorat est un sens extraordinaire : il permet de réveiller en chacun de nous des souvenirs précis de notre vie. Mais comment faire sur le digital ? Qu’à cela ne tienne ! Le digital démultiplie les envies de compenser de sentir. Et certaines marques l’ont bien compris en proposant de transmettre et partager ses odeurs préférées. Ainsi, l’application Olfaplay de la Maison Guerlain crée « la première communauté autour des parfums et de l’émotion pour écouter, enregistrer et partager des histoires 100% audio ». Ses utilisateurs, quels qu’ils soient, racontent dans des podcasts leur souvenir personnel en lien avec les odeurs ou fragrances portées par un être cher.
Toujours friande de nouveautés technologiques, la Maison Guerlain a aussi mis au point l’application Mindscent : à l’aide d’un casque qui capte les émotions neuronales, la cliente est invitée à sentir à l’aveugle quatre univers olfactifs : frais, floral, boisé et oriental, puis à répondre à un questionnaire basé sur des images « aspirationnelles ». En découle une recommandation sur le parfum idéal du consommateur.
2. Le sens tactile, vecteur relationnel avec la marque
Dans cette période troublée, les marques ont la délicate mission de renouer le lien avec leurs clients. Le digital peut partiellement y pourvoir en stimulant la sensation du toucher. Faire des démonstrations dans des showrooms virtuels avec des gros plans sur les matières utilisées par la marque. Tout cela doit être accompagné d’une sémantique très sensorielle. Les clients émoustillés rêvent alors de toucher le produit pour avoir une idée plus précise des matériaux choisis. Car il ne faut pas oublier que les marques transmettent leur signature à travers la sélection et le jeu des matières.
Dans l’univers de la mode et de la déco maison, le toucher doit continuer de faire vivre un moment agréable au consommateur : impression de grande qualité, douceur, confort. À l’aveugle, en boutique et sur le digital, il doit même être possible de deviner le nom de la maison, sa signature de marque. En créant un relief sur son cuir, les sacs Vuitton sont immédiatement reconnaissables.
Pour Karl Lagerfeld « l’escarpin à bout noir, le sac matelassé, la petite robe noire, la veste du tailleur, le camélia, le bouton frappé du double C » rassemblent les « éléments d’identification spontanée » de la Maison Chanel. L’histoire du look Chanel est « un discours vestimentaire » tactile. Son contenu est la conquête de la liberté individuelle, en empruntant des pièces et matériaux à la mode masculine et à l’univers du travail : jersey, tweed, pantalon. « Chaque accessoire et vêtement est une métonymie du look crée par Gabriel Chanel » (Jean-Marie Floch, sémioticien).
La cosmétique travaille également beaucoup la dimension tactile. Elle sélectionne les textures de leurs crèmes avec une sémantique très évocatrice : « crème velours», « crème gel», «crème mousse».
Il sera possible d’aller encore plus loin avec des développements technologiques haptiques intégrés dans la conception de produits pour ressentir plus de sensations. Nous sommes décidément en train de sauter à pieds joints dans « l’ère de l’internet tactile« .
3. Le goût, prolongement d’une expérience de marque
Les saveurs peuvent certes être évoquées par les visuels sur Instagram qui font humer l’odeur d’un produit ou d’un plat. Le son peut également suggérer le goût. Mais la signature gustative n’est pas l’apanage des seules marques de produits alimentaires et gastronomiques. Elle peut aussi prolonger l’expérience sensorielle du client en boutique dans différents univers. Les grandes maisons de luxe proposent par exemple de boire du vin et champagne, manger du chocolat et des macarons ou de se restaurer, en conclusion de la déambulation dans la magasin. Courrège a par exemple intégré un restaurant dans ses boutiques.
L’évolution naturelle d’une marque dans l’art de vivre est de favoriser la conversation avec ses clients autour des 5 sens de la communication humaine. Ils se répondent et se complètent pour signer votre marque. Cette mise en scène des 5 sens à travers le digital répond à un besoin d’authenticité et d’humanité rassurante et apaisante. C’est pour la jeune génération l’occasion de percevoir les valeurs de la marque, ses formes d’engagement environnemental en vivant une expérience inédite avant d’acquérir éventuellement l’objet convoité.
Mais n’oublions pas que le digital n’est qu’un outil et que les marques doivent toujours continuer de faire vivre de vraies expériences physiques sources d’émotions réelles !
Article rédigé par Anne-Sophie Tournier, Présidente de L’HIRONDELLE