L’HIRONDELLE s’entretient avec la sémiologue Isabelle Martinez, du cabinet d’études et de conseil h2\ marketing consultancy qui met en lumière la richesse des outils d’analyse sémiologiques pour explorer le sens d’une marque et inspirer la réflexion sur son identité.
1) En quoi un logo, une publicité, un produit, un magasin, une typographie… sont-ils des signes pour le sémiologue ?
« La sémiologie étudie la vie des signes au sein de la vie sociale ». Ferdinand de Saussure, le fondateur de la linguistique moderne, définit la sémiologie par cette formule qui n’a pas pris une ride. On peut en effet considérer que les échanges au sein d’une société sont faits de signes (verbaux, visuels, sonores…) qui sont émis et reçus. Nombre de ces signes sont parfaitement clairs et univoques. Le « feu vert » et le « feu rouge » sont des signes conventionnels qu’il suffit d’avoir décodés une fois étant petit et qui n’auront plus besoin d’être interprétés. Mais la plupart des signes qui peuplent notre vie quotidienne ont une charge signifiante bien plus complexe et ambivalente. Certes, ils n’ont pas besoin d’être parfaitement clairs pour être utilisés par tout un chacun. De même, il n’est nullement besoin d’être linguiste pour parler ! Cela nous amène à distinguer, dans un message, la part de l’intention, maîtrisée par celui qui s’exprime et une part dont le sens nous « traverse ». Sans que nous le connaissions, il exerce sur nous nous autorité, séduction, influence. Le sémiologue s’intéresse à ces deux niveaux du sens.
2) Sur la base d’une publicité ou d’un packaging, quelle est la méthode adoptée par le sémiologue ?
Prenons l’exemple d’une jeune marque de cosmétiques qui s’interroge sur la pertinence de ses codes packagings. A moins qu’il ne s’agisse d’une marque leader du marché qui envisage de changer ses codes, installés depuis des années dans l’esprit des consommateurs…
Le sémiologue va d’abord réunir sur une grande table tous les packagings de soin visage (par exemple) disponibles en magasin. Il procéde à un relevé rigoureux de tous les éléments morphologiques, chromatiques, graphiques, sémantiques qui les composent. Progressivement, il pourra distinguer les codes transversaux au marché des soins visages, des codes propres à certains segments au sein de cette catégorie. Mais il va aussi identifier tout ce qui différencie l’expression des marques les unes par rapport aux autres. Certaines marques partagent une iconographie très proche – par exemple, une certaine façon de représenter le végétal. D’autres emploient une grammaire visuelle très spécifique, etc.
A l’issue de cette phase d’observation et de « mise à plat » commence un travail de modélisation et de cartographie (mapping). On peut dégager les axes de sens (compétences revendiquées, valeurs, promesses…), qui structurent l’expression des marques sur ce marché des soins visages. Et à partir de ces axes, dessiner des territoires des différentes marques de ce marché.
D’une façon plus approfondie encore, le sémiologue peut mettre en évidence la façon dont ces codes et récits (car on peut parler de récit packaging comme de récit publicitaire) sont ancrés dans des références culturelles collectives, anciennes ou récentes. C’est la dimension culturelle voire anthropologique de la sémiologie.
3) Que peut apporter l’analyse sémiologique à une marque qui a déjà une identité forte ? ou inversement à une marque n’ayant pas d’identité forte ?
La boîte à outils du sémiologue peut intéresser une marque à différents stades de son existence. L’analyse littérale des codes s’intéresse à la capacité des marques de se distinguer formellement les unes des autres : un enjeu en soi essentiel. L’analyse « tactique » du marché s’intéresse aux positions respectives des marques, comme des pièces sur un échiquier (qui est où, qui se déplace et comment, quelles opportunités apparaissent, quels sont les « coups » à jouer…). Enfin l’analyse sémio-culturelle révèle la pertinence culturelle d’une marque, sa capacité à traduire les aspirations ou les attentes profondes d’une communauté ou d’un groupe d’individus.
Une marque jeune pourra ainsi beaucoup apprendre sur les règles qui régissent l’expression de son marché marché et se définir « en creux » (je peux être ce que les autres ne sont pas) avant de se définir « pleinement ».
Une marque à l’identité forte et ancienne pourra chercher à vérifier que ses prises de paroles au fil du temps dessinent un itinéraire cohérent avec son intention fondamentale. Elle pourra aussi prendre conscience d’une dérive, voire d’une « sortie de route », ou au contraire d’un enlisement. Car la cohérence n’est pas pure identité à soi-même.
4) La sémiologie peut-elle apporter un regard international ?
Oui, et c’est l’un des aspects les plus intéressants de cette approche. Quand une marque se déploie à l’international, elle a tout intérêt à comprendre l’image qu’elle produit auprès des consommateurs de ses nouveaux marchés. Elle peut le faire directement à travers une étude qualitative, mais les consommateurs ne vous donneront pas forcément toutes les réponses. Prenons un exemple très basique mais canonique : la symbolique du vêtement blanc. En Occident, cette symbolique est positive (pureté, mariage, fête, tenues estivales…). En Chine, c’est la couleur du deuil. Si vous montrez à des consommateurs Chinois une image avec un groupe de gens habillés en blanc, ils ne vous diront sûrement pas « je n’aime pas cette scène parce que les gens sont habillés en blanc et que cela me fait penser à la mort ». Cela va rester implicite au sein d’une réaction négative ou réticente. Avoir fait un audit de « sémio culturelle » de cette campagne en amont, ou le faire en aval, permet d’éclairer cette réaction.
Pour le sémiologue, cela suppose de bien connaître la culture du marché donné. Mais il peut aussi travailler en collaboration avec un spécialiste de ce pays. Ce dernier pourra éclairer certaines subtilités de la langue, remettre le sujet dans une perspective d’histoire culturelle, etc.
5) La sémiologie peut-elle enrichir l’imaginaire d’une marque ?
La sémiologie est en soi une approche analytique et non créative. Mais une analyse de ce type contient souvent une part de révélation qui peut être vraiment féconde pour la marque, particulièrement dans une phase de création de plateforme de marque. Encore une fois, les marques ne maîtrisent pas l’intégralité des significations qu’elles émettent via leur identité et au fil de leurs prises de parole. Prendre ce recul, c’est pour les marques une chance de puiser de l’inspiration, de prendre de nouveaux appuis et de se donner une nouvelle impulsion.
Entretien réalisé avec Isabelle Martinez, directrice associée et responsable du pôle Consumer Insights & Semiotics chez h2\ marketing consultancy, par l’agence L’HIRONDELLE