1. LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE TRANSFORMENT LA LECTURE, L’ÉCRITURE ET L’ÉCOUTE
La dématérialisation des supports et l’abondance des sms, réseaux sociaux, podcasts, font bousculent le texte, le son et l’image. Bien loin le temps où le texte, l’image et le son reposaient sur une fonction unique. On écrivait dans le seul but d’écrire, on parlait avec son entourage en face de soi, on lisait un texte en silence.
Les lignes bougent aujourd’hui, sous la dictée de l’impérieuse nécessité de rapidité, efficacité et instantanéité.
Une métamorphose des sens et du sens des choses est-elle à l’œuvre ? Sans aller sur le terrain scientifique qui étudie les répercussions cérébrales, cognitives et anthropologiques, l’idée est ici de passer en revue ces changements et de voir les conséquences qu’ils engendrent dans la communication narrative et le storytelling de marque.
2. PARLER, C’EST ÉCRIRE, LIRE, C’EST REGARDER ET ÉCOUTER…
— La lecture est devenue aujourd’hui avant tout visuelle avec la multiplication des écrans. photos, images 2D et 3D, films…
— L’écriture comporte désormais des images avec la recrudescence des emojis et autres signes visuels : l’image devient écriture. Et plus récemment, l’écriture peut même se passer de l’intervention humaine : le chat GPT, outil d’intelligence artificielle permet même une conversation intellectuelle poussée avec des robots ! Il suffit de commander à la machine le sujet de sa dissertation sans avoir à se triturer les méninges et la machine vous répond de façon ciblée et construite !
— La voix peut dicter l’écriture : je parle à mon Iphone et la voix transpose ma parole en texte écrit dans un sms. Le progrès de la reconnaissance vocale est indéniable. « La voix commande et le texte suit. Et l’inverse est aussi vrai : la machine peut lire à voix haute les messages reçus , les articles de la presse. Passer de l’oral à l’écrit ou de l’écrit à l’oral ne requiert plus d’intervention humaine » explique Roger-Pol Droit et Monique Atlan dans La parole qui détruit .
Le statut de l’écriture et de l’audition est métamorphosé. Et on le voit très nettement avec le développement fulgurant du podcast : la voix a pris une place décisive dans notre quotidien, comme un doudou maternant qui nous raconte et lit à notre place des histoires.
— La prise de parole devient hybride et son langage s’appauvrit : elle mélange oralité, visuel et texte. Alors que la parole se situe dans l’altérité (on parle pour être entendu, écouté et partager avec autrui), on préfère aujourd’hui panacher et/ou lui substituer des images, des avatars au détriment de sa fonction sociale. Son contenu tend ainsi être privé de sa richesse sémantique émotionnelle et à se dessécher sur la plan lexical. La parole devient lapidaire, laconique, voire caricaturale et peut même être source d’une mauvaise interprétation au détriment de son auteur. Parce qu’elle n’est comprise que par ses proches ou par les membres de sa communauté, cette prise de parole tend à exclure l’autre.
3. POUR UNE COMMUNICATION NARRATIVE QUI FAIT VIVRE LES SENS AVEC SENS !
Faut-il s’en alarmer ? Inutile d’essayer d’aller à contre-courant de l’intelligence artificielle et du numérique, mais plutôt d’intégrer ces nouveaux paradigmes, de les comprendre afin de construire des dispositifs de communication narratifs adaptés aux objectifs stratégiques de la marque, tout en signant sa singularité.
3 directions retiennent mon attention en faveur d’une stratégie narrative de marque adaptée à cette nouvelle donne :
— Proposer une autre temporalité qui ouvre la porte du sens et de l’approfondissement
Pour reprendre Umberto Ecco, il y a deux types de lecteurs : le lecteur qui se concentre sur les événements et actions. Et le lecteur « qui lambine dans la forêt de l’histoire et explore les sentiers » . Le deuxième s’intéresse au croisement des regards, à la réflexion, à l’approfondissement, à la voix de l’expert, à la connaissance et aux savoir-faire… On le voit avec l’émergence des Mooc, des podcasts qui privilégient une lecture/écoute attentive et proposent de prendre le temps. Ces supports récents permettent d’installer une narration aboutie. À noter que cette famille de supports physiques et digitaux densifie la relation du client avec la marque. Elle instaure de nouveaux rituels qui renforcent l’ancrage de la marque.
— Déployer l’expression des sens
N’est-il pas intéressant de jouer avec tous ces nouveaux supports et de favoriser une nouvelle communication sensorielle ? N’a t’on jamais vu autant d’assiettes présentant des recettes de cuisine instagrammées pour aiguiser le regard et chatouiller les sens ? De même, avec le covid qui nous a privé de contact, une grande importance est accordée par les marques à l’expérience client, au «storyliving » sur des lieux, boutiques, pop-up store qui permet l’éclosion de la polysensorialité. La mode, la beauté cohabitent avec la gastronomie et le tourisme et font vivre « une expérience » qui met tous les sens en éveil : ressentir, écouter, regarder, sentir, savourer…et partager ses émotions avec authenticité.
— Privilégier un style éditorial enrichi d’un vocabulaire sensoriel
Il est essentiel pour les marques de tenir un propos « incarné » pour permettre à ses consommateurs de vivre l’histoire avec ses tripes. Les mots et les images doivent être considérés comme des cellules vivantes uniques, pleines de sens, rythmées par une musicalité, des saveurs, des parfums indispensables et ainsi contrecarrer la tentation déshumanisante. Le podcast ne serait-il pas dans cette logique ? Une voix, avec son grain et sa tessiture peut ouvrir le champ de la polysensorialité.
L’intelligence artificielle n’en est qu’à ses débuts, mais n’oublions pas que seule la pâte humaine peut apporter ce que nulle machine ne peut faire : pensée, sens critique, libre-arbitre, analyse fouillée et subtile, discernement, expression des 5 sens, émotions, sensibilité, récits vécus et haletants. Alors, profitons de la richesse des nouveaux supports de communication pour les utiliser à bon escient et mettre en oeuvre la magie de l’émotion humaine!