15. PHOTOS-PORTRAITS : rituel affectif ou trace mémorielle ?
Qu’elles soient héritées de nos grands-parents avec des tirages argentiques ou regardées dans des albums photo numériques consacrées à un voyage, un mariage, les photos-portraits conservent la même finalité : donner aux siens et à la famille une des repères, laisser un souvenir, une trace à garder et à transmettre.
Depuis quelque temps, le genre gagne ses lettres de noblesse en raison d’un besoin de mémoire. Les photos de famille révèlent en effet des secrets, exhument des trésors. Elles ont beaucoup à dire sur les personnes qu’elles exposent. Elles racontent aussi beaucoup de choses sur les personnes montrées. Elles font état des coutumes vestimentaires d’une époque, d’une société. S’y dévoilent également un langage corporel à travers une pose, une façon particulière de se présenter devant l’appareil photo, qui est propre à chaque génération. Ces langages constituent une véritable histoire ethnographique.
Le photo-portrait avait en effe à ses débuts avant tout une vocation rituelle et sociale : solenniser et éterniser l’individu dans le sillage des portraits d’apparat peints du XVIIIè siècle : une vraie mise en scène pour donner « la bonne image » de soi, de son foyer. Le personnage photographié se donne en spectacle à l’intention des autres. Tel un comédien, le personnage phoographié revêt ses plus beaux atours, se met en scène pour afficher son statut social e donner ainsi une bonne image de soi et de sa famille aux autres.
Puis vient le temps où le désir de montrer est supérieur au devoir de monrer. On ne cherche plus à imiter ceux installés au sommet de la pyramide sociale. D’autres références entrent en scène. Les images véhiculées par les magazines de mode et par le cinéma rentrent dans les foyers. On y découvre des actrices et des modèles qui prennent de nouvelles allures et qui font envie. Incombe alors une grande responsabilité au photographe qui doit capturer une image séduisante qui reflète les désors des femmes : être belles et sublimes ! Un vent de liberté souffle sur l’univers de la photographie !
Les photos de vacances et de loisirs viennent enrichir les albums de famille : tenues sportives, maillot gagnent les classes populaires… mais il faudra attendre les années 60 pour que les vêtements du quotidien investissent les photos-amateurs. La famille, disposant désormais d’un appareil photo, aime à se photographier elle-même en vacances pour capter les événements heureux, avant de se focaliser dans les années 1970-1980 sur les enfants qui occupent toute la surface de l’image au détriment du décor. Finalement, le ressenti prime sur l’action, le lieu, la période. On veut retenir un instant de douceur pour s’y remploger plus tard et revivre le premier sourire, les premiers pas de don enfant…Les photos sont prises sur le vif pour surprendre ses expressions. La photo de famille se rétrécit sur l’enfant, elle fixe un instant. La photo devient « affective ».
Cette tendance s’exacerbe avec l’avènement de la photo numérique. Le rituel de la photographie laisse la place à des photos plus spontanées et intuitives. Lqa technique est facilitée par le smartphone. Et les photos quittent virtuellement la sphère familiale pour être partagées sur les réseaux sociaux. Elles deviennent un acte de communication, jusqu’à transformer, simuler et travestir la réalité
« La photographie ne change pas le monde, mais elle le montre en train de changer », disait Marc Riboud.