LA FONTAINE EST « NOTRE HOMÈRE »
Soirée formidable en compagnie de Fabrice Luchini qui a l’art et la manière de nous faire savourer la beauté de la langue française, à la fois rigoureuse et fantaisiste par ses subtilités et son charme musical, à travers l’œuvre de Jean de La Fontaine. Car oui, La Fontaine se lit autant qu’il s’écoute…
La Fontaine occupe une place bien particulière dans notre mémoire collective.Ces récitations inoculées en chacun de nous depuis notre enfance restent bien vivantes et sonnent toujours tellement juste !
Sa modernité est indéniable. Ses textes, pleins de longues phrases, de tournures complexes et riches d’un vocabulaire très varié, sont certes à l’opposé de ce qui se fait en termes de composition au 21e siècle. Et pourtant, le miracle opère quand les artistes contemporains s’emparent des fables les plus connues de la littérature française pour les adapter en chanson, verlan ou rap.
Car le fabuliste, avec ses suggestions sonores et visuelles, sa construction de rimes irrégulières, adopte un ton inimitable de conteur.
« C’est proprement un charme : le genre de la fable rend l’âme attentive
Ou plutôt il la tient captive
Nous attachant à des récits
Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits *»
Pittoresques, ses histoires sont tantôt comiques, tragiques, épiques, lyriques, satiriques, burlesques. Elles sont incarnées par des animaux ou toutes sortes de personnages aux caractères bien trempés qui multiplient les scènes, les dialogues et les répliques. L’auteur joue avec tous les genres littéraires : le récit parfois tourne à la nouvelle ou au roman où s’enchaînent une série d’épisodes précédés d’un prélude dans lequel il plante le décor et dessine l’atmosphère. Il bascule aussi dans l’univers du conte pour rendre le texte enchanteur : « mon principal but est toujours de plaîre » disait-il.
Soucieux d’exprimer la vie, il n’hésite pas à accueillir des mots de toutes provenances. Tous les registres sont convoqués : expressions nobles et précieuses, dialectes provinciaux, langage populaire. Et par sa maîtrise exceptionnelle de la langue française, il joue, s’amuse à associer ces mots irremplaçables.
Parfois emprunté à ses prédécesseurs, Il « revendique la liberté d’y mettre du sien sans scrupule et sans crainte » : il retranche, amplifie, change les incidents, accentue la situation dramatique et la vigueur du dénouement, il individualise les personnages-animaux qui prennent un caractère humain et dialoguent selon leur psychologie pour renforcer la vraisemblance de l’intrigue. La personnalité de Jean de La Fontaine s’immisce toujours pour animer et « égayer »,
Il nous révèle son sens incroyable de l’observation de l’âme humaine au siècle de Louis XIV et traverse les époques sans prendre une ride ! Les fables de La Fontaine sont bien plus qu’une morale pratique au quotidien. Leurs chutes s’élargissent vers une forme de « sagesse philosophique » : « la raison du plus fort est toujours la meilleure, rien ne sert de courir, il faut partir à point « tout flatteur vit aux dépens de celui sui l’écoute ».
Il a enrichi notre patrimoine littéraire d’un type de poésie très original, où rayonnent la symétrie, l’intelligence conjuguée à l’humour, l’imprévu et l’ironie. Pour reprendre Patrick Dandrey, éminent spécialiste : « Les Fables de Lafontaine, ce sont les Jardins à la Française régis par un système de symétrie globale… au sein desquels les bosquets autorisent la fantaisie, le caprice et l’imprévu ».
Alors n’hésitez pas à musarder parmi les Fables très inspirantes du génial moraliste, peintre et philosophe de tous les temps !
Article rédigé par Anne-Sophie Tournier, fondatrice de l’agence L’Hirondelle
Photo Catherine Sofia
* À Mme de Montespan (en tête du livre VII)