MISIA, LA MUSE ÉTERNELLE DES ARTISTES
« Misia est un monument apporté d’un pays lointain à Paris, comme l’obélisque, et placé dans l’axe du goût français comme l’aiguille de Louqsor l’est dans l’axe des Champs-Elysées » Paul Morand
« Je ne respecte pas l’art, je l’aime ». C’est peut-être en contemplant le tableau de son ami peintre Edouard Vuillard que la célèbre muse et mécène Misia d’origine polonaise dans le Paris de la Belle Époque et des Années Folles profère avec vivacité, en roulant les R, l’une de ses maximes dont elle a le secret.
« La Polonaise » aime en effet donner son avis sur tout ce qui a trait à l’art, avec sa spontanéité enfantine, tout en se laissant pénétrer par la beauté singulière des choses et des êtres.
Brillante, envoûtante, extravagante, l’acuité de son regard lui fait observer chaque détail de son intérieur suggéré et transposé par le peintre Nabi, Edouard Vuillard, insatiable d’expériences esthétiques éloignées de la copie servile du monde visible.
Une grande tapisserie murale fleurie, mise en valeur par des éclairages dorés chaleureux, occupe l’essentiel du tableau. Autre point lumineux qui attire l’attention : une femme élégante en robe jaune, qui n’est ni plus ni moins que Misia, esquissée dans la brume vaporeuse de son jeu pianistique. Telle une photo instantanée prise sur le vif, on entend notre héroïne interpréter La Pavane vibrante de couleurs de Gabrielle Fauré dont elle fut l’élève brillante ou peut-être le Clair de lune de Claude Debussy qui ravivait ses sens.
À la manière des estampes japonaises, tout se fond, se confond. Et pourtant, la peinture traduit à merveille l’ambiance raffinée, douce et intime de l’appartement de Misia qu’elle partage avec Thadée Natanson, son époux, collectionneur d’art et fondateur de la Revue Blanche, carrefour intellectuel de tous les débats avant-gardistes en peinture, musique, littérature, théâtre entre 1889 et 1903.
Thadée Natanson fume nonchalement son cigare et semble réfléchir aux prochaines rubriques de sa Revue. L’occasion formidable de réunir ses innombrables amis artistes, musiciens et écrivains dans leur maison de la Grangette à Valvins : Toulouse Lautrec, Vuillard, Bonnard, Renoir, Ravel, Satie, et les poètes Verlaine, Mallarmé dont Misia se sentait si proche. Elle dira de Verlaine : « les mots simples étaient les siens, il savait les transformer en trésors ».
La sérénité de l’appartement de la rue St Florentin peinte avec tendresse par Edouard Vuillard contraste avec les réceptions vivantes et l’avidité de Misia au coeur de la capitale inventive et rieuse. Misia curieuse de nouveautés artistiques, visionnaire et flairant les talents, court dans le Tout Paris assister aux pièces de théâtre à l’affût des nouveaux auteurs scandinaves (Ibsen, Strinberg), cafés-concerts… sans oublier les spectacles de danse où elle devient la grande amie et mécène de l’impresario Serge de Diaghilev qui lance les Ballets russes. Elle partage avec lui l’âme slave et le goût du beau.
Car oui, elle ne crée pas, mais suscite la création. Elle inspire les peintres charmés par sa grâce ! Valloton, Renoir, Vuillard, Bonnard mais aussi des écrivains comme Mallarmé qui lui apporte à La Grangette chaque dimanche un éventail serti de ses poèmes en forme de haïku, ou Marcel Proust qui la glisse subtilement dans le caractère haut en couleurs de Madame Verdurin. Cocteau en fera aussi l’un des personnages dans Thomas l’imposteur.
Mais la vie de Misia avec ses 3 mariages (Thadée Natanson, le magnat de la presse Alfred Edwards et le peintre espagnol José Maria Sert), serait incomplète sans évoquer son amitié indéfectible avec Gabrielle Chanel dans le Paris animé des années 20. Misia l’introduit avec panache dans le monde bohème des artistes comme Picasso, Brancusi, Chagall, Cocteau, Radiguet, Colette qui aimaient se retrouver au Bœuf sur le toit.
« Pourquoi ne ferais-tu pas franchement des parfums Chanel ? » rétorque subitement Misia à Coco, alors que la couturière vient d’expérimenter son « Eau » comme une bagatelle. Si tôt dit, si tôt fait ! Voilà que la magicienne de la mode, dont le nom était en pleine vogue, crée son industrie du parfum auréolée par le légendaire N°5…
Eh oui ! Misia fait étinceler la création artistique et l’illumine encore aujourd’hui. C’est ainsi que la Maison Chanel imagine dans la collection Les exclusifs le parfum Misia, subtile évocation des senteurs fleuries et poudrées des salons feutrés parisiens d’autrefois mariées à un accord tonique très moderne. Quel bel hommage à la fantasque et intemporelle Misia, que Toulouse-Lautrec surnommait L’Hirondelle pour sa grâce et sa vivacité !
Auteur du texte : Anne-Sophie Tournier
Texte inspiré de Misia, la vie de Misia Sert de Arthur Gold et Robert Fizdale
Citations extraits des écrits de Misia