À la dérobée du VISAGE
« Le visage humain fut toujours mon grand paysage » Colette
Les masques ne seraient-ils pas en train de redessiner les contours de nos visages, voire de les transformer ? Le nez, les joues, la bouche, le menton sont en quelque sorte amputés et dissimulent nos expressions faciales qui nous permettent de communiquer les uns avec les autres. Avait-on conscience que le mouvement des lèvres, le rictus, la torsion de la bouche et du nez, le teint qui soudainement pâlit ou encore ls joues qui rougissent… révèlent nos émotions et traduisent les signes de la relation avec l’autre ?
Seuls les yeux, les sourcils, le front cristallisent aujourd’hui toute notre attention. Alors, la perception des expressions du regard doit vraiment s’aiguiser pour aborder et comprendre l’autre.
Et quand le masque tombe à la maison, c’est le visage virtuel derrière zoom qui se montre aux autres. L’occasion serait-elle trouvée d’en jouer pour « réinventer notre quotidien » selon Michel Cirteau ? Une grande maison de cosmétiques l’a bien compris en proposant du maquillage virtuel afin de surprendre et honorer avec originalité les visioconférences !
On se fie au visage, mais qui se cache derrière le visage ? Le visage dit-il tout de notre identité ? « Le visage voile autant qu’il révèle » dit l’anthropologue David Le Breton. Chacun est en effet confronté chaque jour à l’insaisissable de son être dans son face-à-face avec le miroir. On peut y observer sa fragilité, ses métamorphoses avec l’âge. Le visage est le marqueur de notre évolution intime tout autant que le signe ostensible du temps qui passe.
Mais pas seulement… Le visage ne peut être réduit à son apparence. Il nous faut franchir la façade afin d’accéder au non visible. Alors, peut-être ne faut-il plus seulement voir l’autre, mais regarder et entendre ce que nous dit son visage, sa frimousse, son minois, sa poire, sa trombine, sa tronche, sa binette à travers notamment la voix qui le porte.
Et pourquoi ne pas aussi rappeler le philosophe Emmanuel Levinas, pour qui la rencontre avec le visage d’autrui est une expérience éthique fondatrice. « L’épiphanie du visage ouvre l’humanité […]. Par le langage, elle instaure une communauté humaine où les interlocuteurs restent absolument séparés, mais fraternels. »
Nouveau visage, nouveau paysage intime : une nouvelle cartographie réhabilitant l’être humain dans son entier qui invite autrement à la prise de parole ?